De la statistique à l’inclusion: repenser la santé mentale au-delà du Rapport national 2025
Le Rapport national sur la santé 2025 de l’Obsan tire la sonnette d’alarme: la Suisse manquerait encore cruellement de données solides sur la santé mentale. Les informations disponibles sont fragmentées, parfois dépassées, et ne permettent pas d’avoir une vision fiable de la situation.
Selon l’Obsan, deux constats s’imposent. D’une part, il n’existe ni statistiques nationales récentes ni études de long terme capables de montrer comment les facteurs de risque et de protection, sociaux ou individuels, influencent réellement la santé psychique. D’autre part, plusieurs phénomènes et groupes sociaux restent largement sous-étudiés: la petite enfance, l’adolescence, la maltraitance des personnes âgées ou encore l’impact des violences et des inégalités sociales.
Le rapport pointe aussi un autre angle mort: la prévention. Les programmes menés en Suisse sont rarement évalués de manière rigoureuse, si bien que leur efficacité reste inconnue. Pour avancer, les auteurs recommandent la création d’une infrastructure nationale de données en santé mentale, une évaluation systématique des programmes financés et une approche intégrée (« Mental Health in All Policies ») reliant santé, éducation, travail et politiques sociales.
Commentaire critique
Ces recommandations, bien qu’utiles, demeurent en partie décevantes pour deux raisons principales. Premièrement, la définition de la santé mentale retenue par le rapport est trop large. En mettant sur le même plan un épisode de mal-être passager et un handicap psychique sévère, elle brouille une distinction essentielle. Cette approche, en apparence inclusive, invisibilise en réalité les discriminations et violences structurelles auxquelles sont confrontées les personnes en situation de handicap psychique. Elle conduit à des mesures de « promotion du bien-être » adaptées à une population relativement favorisée, par exemple des programmes de résilience ou de gestion du stress, mais mal calibrées pour répondre aux besoins concrets des personnes les plus vulnérables, qui font face à des obstacles d’accès aux soins, à l’emploi ou au logement.
Deuxièmement, les pistes d’amélioration proposées par le rapport traduisent cette vision réductrice. Elles insistent sur la nécessité de produire plus de données et de recherches médicales, certes nécessaires, mais qui ne suffisent pas. Quand bien même le rapport évoque des inégalités sociales, il les aborde surtout à travers des instruments techniques ou statistiques, sans interroger les rapports de pouvoir et les discriminations systémiques qui structurent ces inégalités. Or, la santé mentale est avant tout un enjeu social et politique et exige des approches interdisciplinaires (Histoire, Droit, Sociologie…) capables d’analyser les réalités vécues.
En définitive, plutôt que de s’en tenir à un simple appel à «produire plus de données», l’urgence est de traduire les connaissances déjà disponibles en droits effectifs, en financements durables et en politiques publiques ambitieuses de lutte contre les discriminations. C’est à cette condition que la prévention et la promotion de la santé mentale pourront réellement servir l’inclusion et la dignité des personnes en situation de handicap psychique en Suisse.